Introduction
La lecture de l’interview
m’a beaucoup fait penser aux mouvements inter-clubs de ces dernières années
dont les échanges se sont intensifiés ...
Je vous propose donc de vous transmettre l’historique et l’état actuel de
l’inter-club national et de ses liens en dehors de nos frontières.
Les questionnements évoqués par
Tosquelles dans ce document y sont toujours d’actualité. Je vais picorer des
extraits pour illustrer l’aventure récente des rapprochements des clubs
thérapeutiques : Projet de Fédération des Clubs Thérapeutiques, du réseau
transatlantique, du T.R.U.C. …
Je regrette de ne pas avoir eu le temps d’explorer les différences et
« la querelle » évoquée
dans le texte entre Antipsychiatrie et Psychothérapie Institutionnelle.
Franco Basaglia m’a fait penser à la Communauté Thérapeutique de Peñalolén au
Chili avec laquelle nous sommes jumelés.
Ce que l’on peut juste dire c’est qu’il y a des choses intéressantes des
deux cotés. J’ai été touché notamment
par ce que dit F. Basaglia dans le documentaire « Les jardins d’Abel » de Sergio Zavoli [1] :
son engagement dans la reconnaissance du malade comme personne et comme citoyen
avec des droits civiques.
Communauté Thérapeutique et Club sont des mots et cela dépend de la manière
dont ils sont habités. L’expérience chilienne de Peñalolèn n’a rien à voir avec
certaines structures grecques actuelles dites de Communauté Thérapeutique qui
n’en porteraient que le nom et se révéleraient être, finalement, des structures
asilaires.
Et de même de l’autre coté : des structures ayant eu une l’expérience
de la Psychothérapie Institutionnelle et du Club ont pu glisser dans le temps
avec un retour en arrière dans leur pratique : des structures avec la coquille
Club mais vides.
Ce dernier paragraphe pour apporter des nuances. Il aurait mérité d’être exploré
de façon plus approfondie.
Je pense notamment au concept de double aliénation, cher à Jean Oury qui
demanderait à être plus développé et pris en compte dans les diverses
expériences.
Je poursuis avec mon sujet, l’inter-club ou plutôt les inter-clubs…
Pour cela j’ai commencé à associer, à déconniatrer comme dirais Tosquelles.
« Ma famille habite dans le Loir-et-Cher »
Dans ce département, il y a aujourd’hui 3 clubs (anciennement 4 avec le
club des Jonquilles de la clinique de Freschines aujourd’hui fermée) situés
dans un rayon de moins de 20 Km.
Chacun a une pratique singulière lié à l’histoire des lieux et des
personnes présentes : pour rappel, création en 1953 du Club de La Borde,
en 1956 celui de La Chesnaie et en 1977 celui de Saumery.
Originaire de Tours, je suis arrivé au printemps 1999 dans ce département.
Je me suis rapidement représenté ces clubs comme des frères, ou du moins
faisant partie d’une même famille avec des origines communes venues de Saint
Alban.
Et qui dit famille, dit histoires de familles : des fantasmes qui se
transmettent et se transforment de générations en générations …
Les échanges et surtout l’organisation de projets inter-clubs n’étaient
alors pas si nombreux.
Ce n’était pas « Si loin, si
proche » comme dans le film de W. Wenders, mais plutôt « Si proche, si loin … »
A l’automne 2010, Saumery fait la demande pour
que l’un de ses patients puisse être accueilli sans soignant, à l’atelier poulailler de La Borde …
Il nous semblait que le cadre de l’atelier avec notamment ses chevaux, pouvait
être une bonne idée pour la prise en charge de ce patient, Saumery n’ayant plus ses équidés
depuis peu.
Discussion au Comité Hospitalier de La Borde en présence des 2 clubs. On
y aborde les questions d’assurance, la nécessité de la présence d’un soignant,
et qu’il existe déjà un atelier Gazette animé par La Borde en ville où deux
patientes de Saumery se rendent régulièrement sans soignant de leur club.
Cet accueil au poulailler ne se fera pas au final, mais l’événement aura le
mérite de créer un rapprochement des clubs du Loir et Cher.
Tout d’abord des moniteurs de Saumery rejoignent l’atelier Gazette, et d’autre
part s’instaure une réunion régulière entre La Borde et Saumery tous les 2 mois,
à tour de rôle dans chaque clinique, pour échanger sur la pratique, se
rencontrer, créer ensemble …
Très rapidement le club de La Chesnaie et ensuite, en 2014, le club Rayon
de Soleil de Château Renault rejoignent l’InterClub « départemental ».
Les réunions des premières années sont régulièrement ponctuées par le
fantasme de perdre son identité, que l’InterClub supplante les clubs.
Cette époque a été traversée en répétant que l’InterClub n’était pas
décisionnaire et qu’il se voulait avant tout un espace de rencontre favorisant l’émergence de projets.
Tout cela a été possible car il y a des camarades, des copains, de la connivence
et l’énergie d’insuffler ce désir, patiemment,
aux différents collectifs.
L’évocation de Tosquelles[2] (page
20) à partir du film « No man’s land » de Tanner[3] me
fait penser aux fantasmes de pertes d’identités vécues lors de nos premières
réunions.
Rencontrer, c’est un double passage : être reconnu dans son propre pays et
par l’autre, le pays étranger. Reconnaissance des identités et des différences
de chacun.
La question de la double frontière, de
l’identité : Qui je suis ? Qui tu es ? La réciprocité. La
reconnaissance.
Garder son identité tout en accueillant celle de l’autre.
Malgré ces peurs, le passage de la frontière a été possible : les circulations
entre les cliniques ont permis à des projets d’émerger plus facilement, plus
fréquemment et plus rapidement.
Quelques exemples:
- Créations d’ateliers inter-clubs : Ciné’Mare, atelier cinéma où l’on dîne,
visionne et discute ensuite autour du film ; « La Gazette » qui
réunit les clubs dans un appartement thérapeutique Croix Marine en ville et
publie régulièrement son journal ; divers ateliers sportifs …
- Mai 2012. : l’association Ciné’Fil de Blois invite les clubs à
participer à un Cycle « Ciné Marge » en incluant dans sa
programmation les productions audio-visuelles des Clubs Thérapeutiques.
Des mois de préparation où, en présence de Ciné’Fil, nous visionnons et sélectionnons
ensemble notre programmation.
- 2015 et 2016. Des InterFêtes qui regroupent les 4 clubs sont organisées par l’InterClub.
Auparavant les événements festifs étaient organisés par un club qui
invitait les autres clubs : le 15 août à La Borde, La Fête de La Chesnaie, le
carnaval de Saumery…
- Il y a 2 ans, on se met à rêver d’un voyage inter-club à Porto. Le
séjour, est à l’image des résistances qui planent sur l’InterClub 41 : « C’est de l’utopie, c’est déjà
compliqué au sein de chaque clubs. Pourquoi y ajouter de la difficulté ? ».
Au final les clubs Rayon de Soleil de Château-Renault, les clubs de La
Chesnaie et de Saumery se nomment pour l’occasion le collectif de l’Odyssée du Centre. Ils préparent durant 1 an et demi ce séjour après
le rêve, le séjour a eu lieu la semaine dernière, du 8 au 12 novembre avec 24
personnes.
Un autre séjour est évoqué à destination de Lisbonne, peut être avec le
club de La Borde. Cette fois-ci dans l’idée de rencontrer des structures de PI.
Le contact est déjà pris avec «Radio
Aurora, autra voz » de l’hôpital lisboète Júlio de Matos.
Ma famille habite la France
Avec la devise de Tosquelles : « Liberté, Différence,
Fraternité ! »
En 2013. Si on cherche sur le net le mot “Inter-clubs”, on ne trouve que l’article
d’Alain Buzaré et de Pierre Delion
« Un inter-clubs pour tisser des
passerelles »[4] écrit
en 1994 sur l’inter-clubs d’Angers.
Enthousiastes, nous prenons contact avec eux. L’inter-clubs existe toujours
et il nous invite à l’AG du B.I.C.
C’est un Inter-clubs structuré financièrement et administrativement qui met
en lien 5 clubs.
Une belle rencontre : lors de l’AG, nous évoquons en plaisantant l’idée
d’une Internationale des Clubs.
En 2014, ils nous réinvitent et cette fois-ci il y a aussi les clubs de Landerneau
et de Reims, nous faisons connaissance.
La rencontre de Reims et Saumery est aussi très importante. Une belle
rencontre où la confiance nait progressivement entre les membres des 2 clubs.
Nous sommes sur la même longueur d’onde !
Ce sont des camarades, des copains… des alliés dans la résistance à la
normalisation ambiante de l'époque qui est la nôtre.
Là aussi résonne l’image de « la
double frontière » de Tosquelles à partir du film « No man’s land » de Tanner.
La question de la réciprocité et de la reconnaissance : on se
reconnaît et on se fait confiance. On est chez nous chez eux, avec notre
différence, et inversement.
En 2015, Reims à l’excellente idée de créer un Forum des Clubs Thérapeutiques lors
de la SISM, rebaptisée à Reims Semaine de
la folie ordinaire.
Une douzaine de clubs français et belges y sont présents.
Chacun raconte ses fonctionnements liés à sa géographie, à son histoire,
aux désirs des personnes présentes … : club avec ou sans association loi 1901 …
De multiples structures, et pas de modèle de club mais un invariant : soignés
et soignants sont reconnus comme sujets, en tant que personnes … Le club est un
outil de subjectivation et de socialisation …
En 2016 Saumery propose d’organiser le Forum suivant avec les conseils de Reims.
Des liens étroits se tissent entre eux.
Le Forum a lieu à Chambord en mai 2016 et réunit une trentaine d’associations.
L’événement est retransmis en FM par radio Colifata en Argentine et en streaming
sur le net.
Suite à l’idée énoncée à Angers, est encore relancé la création d’une
Fédération, d’une Internationale des Clubs.
Un Forum itinérant est né.
Le suivant sera organisé par un collectif à Gennevilliers pour le 9 juin
2017 …
Actuellement, nous nous rencontrons tous les 2 mois pour préparer le 3ème
Forum avec un peu plus d’exigence dans son organisation : séance plénière,
ateliers ... Un peu sur le modèle de la FIAC.
Nous nous retrouvons aussi pour parler autour de la fédération, avancer des
propositions et les transmettre lors du Forum à venir.
Notre famille, citoyenne du monde
Parallèlement, cela fait 10 ans que le Club de Saumery est jumelé avec la
Communauté Thérapeutique de Peñalolèn inspiré des CT anglo-saxonne (USA : Maxwell
Jones, Thomas Szasz. Angleterre : David Cooper, RG Laing) comme ce fut le
cas de l’expérience italienne de Gorizia.
Après des échanges épistolaires et une préparation du voyage, le club de
Saumery est allé à leur rencontre en 2009, les avons accueilli en 2014 et
espérons y retourner en 2018.
Au delà de l’Atlantique, encore une fois, nous avons rencontré nos
semblables, une même famille.
Une autre langue et d’autres mots. Ce n’est pas la dénomination Club, mais Comunidad Térapeutica et Assemblea
General pour nommer l’Esprit du club.
Lors de notre accueil chez eux nous étions comme lors de notre réunion du
lundi au salon vert, à 12.000 Km de distance.
Aux deux Forums, la CT de Peñalolèn était présent par la lecture de leur
texte et en 2016 il y a même eu des échanges radiophoniques en direct avec le
Chili et l’Argentine.
L’atelier Chili de Saumery accueille régulièrement des stagiaires sud
américain en stage à Saumery ou à La Borde. Un réseau informel transatlantique
s’est formé via mail (Argentine, Chili, Uruguay…) et favorise de nombreuses rencontres
transatlantiques.
Il y a aussi des échanges entre professionnels : des stages, des traductions
de textes en espagnol…
Et aussi la publication prochaine dans la revue argentine Topia d’un article autour de ces
mouvements transatlantiques : « Circulaciones y colectivos transatlánticos,
una propuesta de redes terapéuticas »[5]
Perspectives… Le T.R.U.C…
Dans le cadre des réunions de réflexion sur la création d’une fédération, le
8 octobre dernier à Paris, les 8 associations présentes ont statué sur la
création du collectif le T.R.U.C.
Acronyme de Terrain de Rassemblement pour
l’utilité des Clubs.
Un compte rendu a été diffusé très largement.
Il y a les professionnels qui se rencontrent dans « leurs clubs »
qui sont les associations culturelles,
mais pas les clubs thérapeutiques entre eux.
L’enjeu est aussi là, favoriser des rencontres entre les différents clubs
thérapeutiques …
Idée d’un dispositif à l’image de la FIAC, avec ses journées via les Forum,
un Journal …
« C’est en allant à l’extérieur que l’on peut aussi interroger
l’intérieur »
Citation de Christelle Pourrier, psychologue au Centre Artaud qui illustre
la connivence dans cette aventure : Elle a lu ce texte et y a ajouté des
commentaires.
Mais attention à l’écueil : créer de l’ouvert, oui, mais il ne faut pas que
cela soit une fuite en avant et oublier le quotidien du club, de l’intérieur de
sa maison…
Le Collectif Artaud de Reims et le club de Saumery, régulièrement en
contact via leur réunion de club, élaborent conjointement une proposition de
Manifeste de ce qu’est et de ce à quoi sert le TRUC.
L’idée est de présenter et de valider le Manifeste au collectif fondateur
et de le diffuser.
Il sera présenté officiellement à la deuxième réunion du T.R.U.C. le samedi
14 janvier à Paris.
Le défi de la fédération, du mouvement actuel…
Le Collectif T.R.U.C. prémice à une fédération, et son Manifeste en
gestation prémice de statuts ?
« J’ai continué à
travailler, même après, mais à Saint Alban tout s’est terminé en 1952. La mort
de l ‘expérience a coïncidé avec son baptême, quand Daumezon l’a dénommée
« psychothérapie institutionnelle »
Provocation de F. Tosquelles, en bas de la page 1[6] où il
prononce la fin de la PI en 1952 !
Se pose la question de la reconnaissance officielle (Association loi
1901 avec statut déposé en préfecture,) question qui est à double
tranchant :
-
Se faire entendre par les autorités
-
Devenir une institution
bureaucratique et sans mouvement créateur.
Une fédération, je ne sais pas, je ne sais plus… mais les mouvements actuels,
oui !
Avec des mouvements transférentiels entre les membres de clubs de France,
et de l’autre coté de l’Atlantique… et plus à venir …
La période de création, d’ajustement est la plus intéressante.
Pour le dire autrement et reprendre les mots
de J. Oury: « Quand un atelier fonctionne, il faut l’arrêter ! »
à entendre dans le sens de symptôme de chronicisation.
Des idées se confrontent, s’échangent dans ces
différents clubs, et entre eux.
Le Manifeste s’élabore patiemment, des rencontres
inter-clubs nationales ont lieu régulièrement pour la préparation du 3eme Forum
et pour penser le TRUC…
On ne sait où on va exactement, mais il y a du
désir, le chemin se fait en marchant…
Nous avons l’élaboration du Manifeste en tête et
quelques citations qui nous accompagnent :
« La utopía
está en el horizonte. Camino dos pasos, ella se aleja dos pasos y el horizonte
se corre diez pasos más allá.
¿Entonces para que
sirve la utopía? Para eso, sirve para caminar. »
"L'utopie est dans l'horizon. Je marche deux pas, elle se déplace de
deux pas et l'horizon courre dix pas plus loin.
Alors à quoi sert l'utopie? A ça, cela sert à cheminer, à avancer"
Eduardo Galeano, poète uruguayen.
"…ne pas se prendre trop au sérieux pour
sauvegarder au maximum le « sérieux » de notre entreprise."[7]
Jean Oury
Samedi 19
novembre 2016
Luis Tomé
Moniteur à la clinique de Saumery
Membre du bureau du Club Thérapeutique de Saumery
[3] “No Man’s Land” de
Alain Tanner, 1985.
[4] Actualité de
la psychothérapie institutionnelle, sous la direction de Pierre Delion,
Editions Matrice, 1994.
Page 202 à 227 « Un
inter-clubs pour tisser des passerelles »
[5] « Circulaciones y colectivos transatlánticos, una propuesta de redes terapéuticas ». Gloria Silva et Luis Tomé
Article à venir dans la revue Topia n°79 de Avril 2017.
Topía. Un sitio de psicoanálisis, sociedad y cultura
https://www.topia.com.ar/
Publié le 8 janvier 2010
par Marie-Christine Hiebel.
Hommage de Jean Oury à Lucien Bonnafé.